Parcours de création : Elsa Sahal, sculptrice
L'Atelier de Sèvres fête ses 40 ans. 40 années au service de la création contemporaine, dans tous les domaines de l'art et du cinéma d'animation. 40 promotions d'élèves devenus aujourd'hui des artistes reconnus en France et dans le monde entier. Découvrez les portraits de ces anciens élèves qui font aujourd'hui la valeur de notre établissement.
Elsa Sahal, sculptrice, élève de l'Atelier de Sèvres en 1993
Entretien réalisé par Nadine Vasseur
Lorsque Elsa Sahal apparaît sur la scène artistique au début des années 2000, la céramique est encore loin d’être à la mode. Il faut attendre les années 2010 pour que le travail de l’argile retrouve ses lettres de noblesse et trouve toute sa place sur la scène contemporaine. De grandes expositions ont alors lieu où Elsa Sahal figure en bonne place, en même temps qu’elle expose à la galerie Claudine Papillon. Avec quelques autres artistes, elle apparaît comme l’un des acteurs du renouveau de cette technique. Abstraites autant que figuratives, tout à la fois dérangeantes et attirantes, inquiétantes et drôles, ses sculptures s’amusent avec les grands genres que sont le nu, le paysage ou l’autoportrait, voire la peinture religieuse. Corps éparpillés, morcelés en ex-voto, corps ramollis, corps sans tête, autels, crucifixion, la terre ici partout se fait chair, la céramique décline un vocabulaire organique qui flirte avec le spirituel autant qu’avec l’abjection. « Je ne cherche pas à représenter le corps précise-t-elle, il s’agit plutôt d’évocations du sentiment du corps ».
Danseuses accrochées à des piliers de lap-dance, maternités rouge sang, corps sans tête exhibant leurs seins comme des boulets de canons, excroissances, orifices, sexes béants, nombre de ses œuvres se plaisent à décliner toute une grammaire érotique à la féminité assumée, non sans s’amuser du prisme du désir masculin. « L’Alanguie, avec ses nichons qui regardent de tous les côtés, est une manière de renverser le regard des hommes. Léda, est un détournement du thème mythologique puisque ce n’est pas Zeus qui ici visite Léda, mais Léda qui se caresse elle-même. » S’agit-il pour autant d’oeuvres féministes ? Elsa Sahal ne pensait pas en ces termes jusqu’à ce que sa sculpture La Fontaine soit exposée en 2012 dans le jardin des Tuileries. « J’avais réalisé cette « pisseuse » avec une certaine ironie ; elle était aussi une manière de m’adresser à ma petite fille qui avait alors six mois. Mais la réaction du public et des critiques a été d’une telle agressivité que celle-ci m’a fait réfléchir. Depuis, je pense que mes œuvres ont effectivement une dimension politique. »
Le premier contact d’Elsa Sahal avec la sculpture a lieu dans un atelier de la Ville de Paris où elle suit le cours de la sculptrice Catherine Mathieu qui la marque durablement. Mais lorsqu’elle entre un peu plus tard à l’Atelier de Sèvres, elle n’envisage pas, à priori, de poursuivre dans cette voie. « Je ne savais pas trop dans quelle direction aller, en fait je pensais plutôt à une activité collective comme faire de la scénographie pour le théâtre. C’est au cours de cette année de prépa, et après que l’Atelier de Sèvres m’a fait découvrir diverses disciplines artistiques, que je me suis véritablement orientée vers la sculpture et que j’ai décidé de passer le concours des Beaux-Arts. » Son premier professeur aux Beaux-Arts est Georges Jeanclos qui emmène beaucoup les étudiants de son atelier au Louvre « Il nous faisait beaucoup dessiner, appréhender la sculpture par le dessin, il s’agissait presque d’épuiser notre regard sur une forme par le dessin. » Des oeuvres de Georges Jeanclos, émane une grande beauté tragique et spirituelle. Les œuvres du second maître d’Elsa Sahal, Erik Dietman, affichent, elles, une forme de désinvolture. « Dietman se définissait comme « sculptor classicus », ce qui implique une révérence envers la sculpture classique en même temps qu’une distance humoristique. » L’œuvre de la sculptrice témoigne de l’empreinte diffuse de ces deux immenses artistes ; des corps allongés de Jeanclos au goût pour la provocation de Dietman.
A la verticalité hiératique, Elsa Sahal préfère l’horizontalité, celle de L’Alanguie ou du Nu glissant, les corps qui deviennent paysages. Elle ne répugne pas non plus au kitsch. Marie Rose Poum Fesse, au titre peu académique, offre ses formes rose bonbon. Ailleurs une vulve rose aguicheuse exhibe son intérieur doré. Elsa Sahal a souvent dit qu’elle avait choisi l’argile parce qu’il est, comme chez Rodin, le matériau de l’esquisse, avant que la forme ne devienne moule en plâtre et enfin sculpture en bronze. « L’argile, dit-elle ailleurs, est un matériau domestique, non autoritaire. Contrairement au métal ou à la pierre, il conserve la trace du toucher de l’artiste ». Comme partout dans son œuvre, la trace du corps.
L'auteur
Nadine Vasseur est journaliste et écrivain. Productrice du magazine Panorama sur France Culture pendant quinze ans, elle est, par ailleurs l'auteur de nombreux livres d'entretiens et de livre d'art parmi lesquels " Les Plis" et "Les Incertitudes du corps" parus aux éditions du Seuil. Elle a publié en 2019 "Simone Veil. Vie publique. Archives privées" aux éditions Tohu Bohu.