Parcours de création : Hicham Berrada, artiste
L'Atelier de Sèvres fête ses 40 ans. 40 années au service de la création contemporaine, dans tous les domaines de l'art et du cinéma d'animation. 40 promotions d'élèves devenus aujourd'hui des artistes reconnus en France et dans le monde entier. Découvrez les portraits de ces anciens élèves qui font aujourd'hui la valeur de notre établissement.
Hicham Berrada, artiste, ancien élève de l'Atelier de Sèvres
Entretien réalisé par Nadine Vasseur
Depuis qu’il est petit, Hicham Berrada est fasciné par la morphogénèse. La manière qu’a la nature de créer des formes végétales ou géologiques le passionne. Devenu artiste, il empruntera à ces processus de morphogénèse pour produire des œuvres envoûtantes, d’une séduction sourdement inquiétante. Par le biais de la vidéo, à l’aide d’ordinateurs dont les images sont générées à partir d’algorithmes, en jouant de toutes sortes de matériaux, argile, plâtre, minéraux, il crée d’étranges paysages dont les formes en mouvement se déploient sur des écrans monumentaux, dans de vastes aquariums ou dans des petits bocaux. « Mon travail consiste moins à créer des formes qu’à les faire apparaître. Je pars souvent d’un paysage que j’ai en tête puis, sur les matériaux que j’ai choisis, j’applique tel ou tel algorithme, celui de la formation des nuages, celui de la pousse d’un arbre… La nature fonctionne en effet beaucoup à partir de systèmes génératifs qui obéissent à des règles physiques. J’ai longtemps travaillé sur tout ce qui est atmosphérique, les brumes, les particules qui restent en suspension, en ce moment je travaille plutôt à générer des paysages minéraux. Mes outils, ce sont aussi le froid, le chaud, le magnétisme, la lumière, que j’utilise et que je combine un peu comme un peintre ferait avec ses couleurs. Il y a dans mon travail, une grande part d’expérimentation et d’observation, pour mesurer toutes sortes de phénomènes nécessaires à la réalisation de telle ou telle installation. Je réalise ensuite des sortes de mise en scène : je peux choisir d’ajouter de la chaleur pour créer de la brume, mais aussi du froid dans la partie supérieure pour que cette brume ne se dissipe pas trop vite, je peux jouer de la lumière à tel endroit, contrôler l’électro-conductivité pour que les mouvements de mes formes aillent plus ou moins vite. Mon travail est bien sûr différent de celui du peintre, mais il n’est pas pour autant en rupture avec la peinture. Pour représenter un nuage, ou une vague, il faut aussi beaucoup les observer pour en saisir le mouvement. Mon travail procède du même désir d’appréhender la nature. Lorsqu’on est un artiste, cette approche passe par le regard. Mais celle-ci peut aussi se faire par le biais des mathématiques ou d’autres sciences. Vouloir comprendre la nature est l’un des grands élans de l’humanité. »
Les installations d’Hicham Berrada n’ont pas de visée scientifique, leur objet est d’ordre plastique et poétique ; mais elles exigent de posséder un savoir scientifique de base, notamment en physique. Hicham Berrada maîtrise ce savoir puisqu’il a passé au Maroc un baccalauréat scientifique, après lequel il s’oriente vers des études artistiques. Car son autre passion depuis toujours, c’est la photographie. Il réussit d’abord le concours de l’école Olivier de Serres où il passe un an, puis entre à l’Atelier de Sèvres. « Je voulais entrer aux Beaux-Arts et j’avais entendu dire que cette école avait de très bons résultats au concours. L’une des aides essentielles, c’est qu’on y est très bien préparé pour présenter un bon dossier. C’est très important quand on doit passer un oral qui dure très peu de temps. C’est aussi à l’Atelier de Sèvres que j’ai véritablement appris la photographie. Je croyais la connaître pour l’avoir pratiquée, mais c’est ici que j’ai découvert la chambre, l’argentique et toutes les ressources du numérique. Pour moi, L’Atelier de Sèvres a été une ouverture formidable sur toutes les pratiques artistiques. Quand on sort du baccalauréat, on vit un peu chacun dans son petit monde, d’un seul coup je découvrais toute la diversité de l’art. Il y avait à l’école des élèves qui étaient passionnés par le dessin académique, d’autres qui adoraient dessiner des chevaux, il y en avait un, je m’en souviens, qui était très fort en dessin de dragons qu’il dessinait de manière hyperréaliste au stylo bic ! Il y en avait d’autres qui préféraient développer un travail de plasticien plus libre, et tout le monde trouvait sa place. C’était vraiment un vivier propice à la création. »
Admis aux Beaux-Arts, Hicham Berrada passe au cours de ses études de la photo à la vidéo. Un travail qu’il poursuit et approfondit au cours des deux années qu’il passe ensuite à l’école du Fresnoy dont il sort diplômé en 2013. En 2014, ce sera la Villa Medicis. Puis l’entrée à la galerie Kamel Mennour et les expositions qui s’enchainent : au Centre Pompidou, au MOMA PS1 de New York, à la Punta della Dogana à Venise, Berlin, Londres, Stockholm… Ces expositions ont souvent des titres enchanteurs : Présages, Le rêveur de la forêt, Matérialité de l’invisible – l’archéologie des sens, Garden of earthly delights, Dreamscapes… Mais ces paysages qui font rêver ne sont jamais loin de l’abîme. « Ce sont des mondes assez plaisants en termes de composition et de couleurs, on pourrait presque s’y sentir bien. Mais ce sont aussi des environnements complètement morts dans lesquels aucun humain ni aucune vie ne peut advenir. Il y a en eux, une sorte de romantisme sans humain, merveilleux et en même temps inquiétant et triste. Malgré les apparences, rien n’est organique dans mes installations, tout y est froid et minéral. Je les vois comme les images de catastrophes possibles. Peut-être les fonds sous-marins ressembleront-ils un jour à cela, si l’eau des océans devenait si acide que plus aucune vie n’y serait possible. »
L'auteur
Nadine Vasseur est journaliste et écrivain. Productrice du magazine Panorama sur France Culture pendant quinze ans, elle est, par ailleurs l'auteur de nombreux livres d'entretiens et de livre d'art parmi lesquels " Les Plis" et "Les Incertitudes du corps" parus aux éditions du Seuil. Elle a publié en 2019 "Simone Veil. Vie publique. Archives privées" aux éditions Tohu Bohu.