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Parcours de création : Lucien Murat, artiste

L'Atelier de Sèvres fête ses 40 ans. 40 années au service de la création contemporaine, dans tous les domaines de l'art et du cinéma d'animation. 40 promotions d'élèves devenus aujourd'hui des artistes reconnus en France et dans le monde entier. Découvrez les portraits de ces anciens élèves qui font aujourd'hui la valeur de notre établissement.

Lucien Murat, artiste, élève de l'Atelier de Sèvres entre 2004 et 2006

Entretien réalisé par Nadine Vasseur

Les sentiments que les œuvres de Lucien Murat inspirent au spectateur sont à l’image des techniques et de l’iconographie qu’il emploie : mélangés, discordants. Ses peintures déconcertent, suscitent un mouvement de frayeur, mais aussi quelque fois le rire. Il y a du carnavalesque dans cette imagerie qui mêle la violence et le kitsch, le grotesque et l’inquiétant, dans ses couleurs volontairement criardes, fluorescentes, dissonantes qui appartiennent à la palette des jeux vidéo des années 1990 dont l’artiste, adolescent, était un grand fan. La technique de Lucien Murat est celle du collage et de l’hybridation de codes visuels multiples qui se télescopent, s’opposent ou entrent en résonnance : ceux de la Bande Dessinée, de la  Science-Fiction, des jeux vidéo, de l’image informatique, du cinéma, quand ce n’est pas Jérôme Bosch qui semble nous sauter au visage au détour d’une scène fourmillant de détails scabreux. 

Ses œuvres jouent aussi avec la tradition des enluminures médiévales comme avec la grande peinture d’Histoire dont l’artiste débusque là encore le côté kitsch. « La peinture religieuse comme la peinture d’Histoire délivrent un message qui fait rarement dans la finesse, ce sont souvent de grosses ficelles. » Il en sait quelque chose pour être lui-même descendant du Maréchal d’Empire Murat, élevé dans la fréquentation des illustrations de l’épopée napoléonienne dont regorgeait la bibliothèque familiale. La tapisserie enfin, non pas la glorieuse, la prestigieuse, mais son interprétation populaire, sous la forme de canevas brodés par les ménagères, joue une part décisive dans ses compositions. « C’est au hasard de promenades dans des brocantes que je suis tombé sur ces canevas qui transposent les images de la culture dominante dans la pratique populaire de la broderie. On y trouve quantité de Liseuse de Fragonard, d’Angelus ou de Glaneuses de Millet, de natures mortes, d’odalisques se languissant dans la soie, destinés à orner les murs des intérieurs modestes. »  Ces canevas assemblés constituent le fond des œuvres de Lucien Murat qui en laissent apparaître certains détails, quand d’autres sont recouverts de peinture déposée à même la tapisserie ou sur des patchs collés qui permettent de déborder du cadre. La collision de ces supports, comme ceux des divers registres d’images, participent au sentiment de chaos qui émane de ses peintures. « Le chaos, explique l’artiste, c’est  celui de la génération post-Internet, celui de ma génération, avec son flux ininterrompu d’images et d’informations, sa boulimie de vidéos recrachées par Google et Youtube, son abolition des frontières, des langues, des cultures. » 

La technique du patchwork qui préside à ses créations sont à l’image de ce chaos, comme l’est aussi la violence que mettent en scène ses œuvres. Hallali, Duel, Requiem pour une carcasse, Chute des crânes de la colère, les titres de ses œuvres, présentées lors de sa dernière exposition One to rule them all chez Suzanne Tarasieve sont parlants. Ils disent la violence et l’inquiétude, comme ses personnages masqués ou dépourvus de regard, ses figures au genre indéterminé, ses personnages mi-humains, mi-cyborgs, desquels transpire l’anxiété d’une génération prise dans le récit contradictoire de la fin du monde et du dépassement de l’humain. « Mon propos n’est pas de transmettre une vision pessimiste du monde d’aujourd’hui, il est d’interroger nos identités post-Internet de manière allégorique. La violence triviale ne m’intéresse pas. » 

Alors que ses premières œuvres présentaient des références littérales à la violence - tête de Ben Laden, crashs d’avion ou pogroms – celles-ci ont peu à peu disparu pour laisser place à un propos plus métaphorique, celui d’une violence mythologique dénuée de morale, empreinte d’une dimension jouissive. « Plus le propos est décalé par rapport à la réalité, plus il est étrange et plus il est fort. C’est ce qui fait la force de la mythologie depuis la nuit des temps, celle d’exprimer l’inexplicable. C’est aussi celle de certains romans qui sont pour moi des références, Le Tambour de Günter Grass, Vendredi ou les limbes du Pacifique de Michel Tournier ou La Nuit de Edgar Hilsenrath. » Le temps est loin où, élève à l’Atelier de Sèvres, Lucien Murat ignorait ce qu’il voulait faire. L’exigence dont témoigne aujourd’hui son travail est redevable en grande partie, il le reconnait, aux deux ans qu’il a passé dans cette école aux côtés de ceux qu’ils appellent, avec un à propos saisissant, « ses frères d’armes ». « Ce que m’a transmis plus que tout l’Atelier de Sèvres, c’est l’esprit critique vis à vis du travail des autres mais surtout du sien, c’est une extrême exigence à l’égard de soi-même. » 

 

L'auteur
Nadine Vasseur est journaliste et écrivain. Productrice du magazine Panorama sur France Culture pendant quinze ans, elle est, par ailleurs l'auteur de nombreux livres d'entretiens et de livre d'art parmi lesquels " Les Plis" et "Les Incertitudes du corps" parus aux éditions du Seuil. Elle a publié en 2019 "Simone Veil. Vie publique. Archives privées" aux éditions Tohu Bohu.

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